Soudan
Hashtags, appels en ligne, groupes WhatsApp ou tutoriels vidéo, à Khartoum sous les bombes et les tirs croisés des deux camps en guerre pour le pouvoir, la solidarité s'organise sur les réseaux sociaux.
"Relayez les appels à l'aide, les demandes d'assistance et essayez de mettre en contact ceux qui en ont besoin", lance Mujtaba Musa à ses plus de 200 000 abonnés sur Twitter.
Comme beaucoup de Soudanais barricadés chez eux, avec internet pour seule fenêtre sur le monde, il tente d'aider. A Khartoum, depuis samedi, tout manque : l'eau courante, l'électricité, les médicaments, la nourriture.
C'est notamment sous l’hashtag #Besoins_Khartoum ou #Besoins_Omdourman que la solidarité s'organise, avec environ 20 000 occurrences mercredi.
Sur WhatsApp, quelques centaines de membres de "Besoins généraux à Khartoum" font part de ce qui leur manque : Khouloud a besoin de lait infantile, Hicham d'un véhicule et un autre utilisateur, anonyme, veut une recharge téléphonique pour contacter ses proches.
D'autres donnent des conseils : Quoi mettre dans son "sac de fuite" ? Quel médecin appeler ? Comment gérer une crise d'angoisse ?
Car à Khartoum, la capitale du Soudan toujours épargnée jusque-là par les multiples guérillas des provinces du sud ou d'ailleurs, les habitants ont tous été surpris quand samedi matin, au beau milieu des derniers jours, les plus sacrés, du Ramadan, le ciel leur est tombé sur la tête.
Ici, depuis les années d'embargo et avec des infrastructures déliquescentes, on sait composer avec les coupures d'électricité ou le rationnement. Mais des frappes de l'armée de l'air sur sa propre capitale, personne ne l'aurait jamais imaginé.
Face aux combats qui ont déjà tué plus de 270 civils, le syndicat des médecins a reposté sur Facebook sa vidéo sur les premiers soins aux blessés par balle. Il l'avait tournée en 2019, lors de la "révolution" qui avait forcé l'armée à démettre un autre général, Omar el-Béchir, après trois décennies de dictature.
Les autorités, qui réprimaient alors dans le sang les manifestants pro-démocratie, avaient coupé internet et les communications téléphoniques pour éviter que le monde voie les images du massacre.
Cette fois-ci, les deux généraux rivaux, en pleine guerre médiatique, préfèrent inonder les réseaux sociaux de leur propagande.
"Suivez la situation dans votre zone et décrivez la pour éviter les rumeurs", répondent en ligne les comités de résistance, ces petites cellules militantes qui ont essaimé dans chaque quartier pendant le soulèvement de 2019.
Dans une ville de plus de cinq millions d'habitants où règne la confusion et où les pénuries s'intensifient, ils appellent aussi à "créer des dispensaires de fortune pour des blessés".
Car les combats ont déjà fait fermer neuf hôpitaux à Khartoum, 39 dans tout le pays, et les rares établissements encore utilisés manquent de matériel et de soignants.
Pour ceux qui ne peuvent pas accéder à un hôpital, le site Khartoum Medical propose aux médecins de s'enregistrer. Ils peuvent inscrire leur numéro de téléphone et les heures durant lesquelles ils peuvent se déplacer ou aider par téléphone patients et blessés.
Alors que les pharmacies sont fermées pour la plupart depuis cinq jours, on ne compte plus les internautes à la recherche d'insuline ou les appels au don de plasma pour un proche malade chronique.
Khalid Saad propose à ses près de 80 000 abonnés de s'organiser à plus grande échelle."Trouvez un pharmacien, créez un groupe WhatsApp et envoyez-lui vos ordonnances", conseille-t-il sur Twitter. Après ça, un volontaire peut livrer les patients en scooter et tous partageront les frais d'essence.
Un autre post réclame "une ambulance au plus vite". "Il y a deux corps dans la rue 60, une roquette a fauché leur voiture", rapporte un internaute en laissant son numéro de téléphone.
Car sous le soleil brûlant de Khartoum, l'une des villes les plus chaudes du monde, les corps en décomposition et les bactéries qu'ils pourront charrier effraient les habitants.
Mais prendre la route sous les tirs croisés peut être un enfer. Alors, pour éviter les coins les plus dangereux et les rues où stationnent les combattants, on s'échange en ligne des informations sur la situation ou des chambres disponibles pour accueillir les déplacés.
"Ceux qui veulent partir du quartier Khartoum-2, partez tout de suite, passez par la rue de la Presse, ça roule", tweete un internaute. Mais à Khartoum, tout peut changer d'un instant à l'autre. Ces informations, dit-il, "valent à 12h43".
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